Dans un nouvel avis rendu le 22 février 2016, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) revient sur la question de savoir quels sont les effets positifs ou négatifs de l’e-cigarette. Il en résulte un texte qui constitue un difficile exercice d’équilibrisme.
Pour l’essentiel, le HCSP reconnaît (comme l’agence britannique de santé publique, voir mon post du 25 août 2015) que l’e-cigarette peut être un outil d’aide à l’arrêt du tabac. En même temps, il considère qu’elle induit un risque de banalisation de l’image du fumeur. Dès lors, le HCSP emprunte une voie étroite qui vraisemblablement ne va satisfaire aucun des intérêts en présence.
Selon le HCSP, on peut recommander l’e-cigarette chez ceux qui désirent arrêter le tabac, il convient d’envisager un statut d’e-cigarette médicamenteuse, mais la publicité doit rester interdite de même que son usage dans les lieux à usage collectif.
Pourquoi cette question est-elle si difficile à trancher ? Pour trois grandes raisons. D’abord, quand une nouvelle technologie émerge, il faut toujours un certain temps pour en dégager l’ensemble des impacts surtout quand ceux-ci demandent un délai de quelques années pour se révéler. Ensuite, derrière l’objet cigarette électronique, il y a en réalité une grande variété de produits et d’intentions d’usage. Chaque situation d’usage comporte sa propre balance bénéfices-risques. Enfin, dans ce type de situation, c’est une erreur de croire qu’une seule étude scientifique même de bonne qualité suffira à supprimer les incertitudes. Je l’ai déjà expliqué dans mon post du 15 septembre 2013.
Dès lors, on doit admettre que décider dans ce genre de situations comporte inévitablement une part de subjectivité. De ce point de vue, il faut reconnaître à l’avis du HCSP un certain courage, car même s’il tente de concilier la chèvre et le chou, il recèle des innovations qui méritent d’être soulignées.
Ainsi, le HCSP affirme classiquement que pour mieux connaître les risques et les bénéfices de l’e-cigarette, il faut réaliser des études avec tirage au sort comme on le fait pour les médicaments. Mais en même temps, comme peu d’études de ce genre sont disponibles, le HCSP a accepté de prendre en considération des avis de praticiens, d’experts, d’industriels et d’associations. C’est une démarche intéressante. Le HCSP aurait pu se contenter de dire : « je ne suis pas en mesure de prendre position, je n’ai pas les résultats qui conviennent pour cela ». Cela conduit le HCSP à accepter de reconnaître que l’e-cigarette est un outil de sevrage tabagique sur la base de l’expérience des professionnels de santé, les études scientifiques donnant pour l’instant des résultats non univoques. Dans les pratiques françaises de l’expertise, ce n’est pas la posture habituelle.
Après, il y a matière à jugement de valeur. D’un côté, le HCSP souligne qu’il ne faut pas mettre le tabac et l’e-cigarette sur le même pied, le premier étant une priorité absolue. Pourquoi alors interdire la publicité promouvant le vapotage ? Ici, les acteurs de terrain ont des avis divergents. Le HCSP en prend acte, reconnaît que cela le met en difficulté, mais prend position. On peut être d’accord ou pas d’accord, mais on ne peut pas nier que le HCSP a fait le maximum pour entendre les arguments des uns et des autres et justifier une position dont on pressent qu’elle a fait l’objet de longs débats en son sein.
Décider sous incertitude est toujours un pari. Il faut accepter le risque d’erreur à condition d’avoir l’humilité de la reconnaître et de la réviser en fonction de nouvelles données. Le dogmatisme ne sert jamais la cause de la santé publique. Il n’y a pas d’autre chemin que l’essai et l’erreur pour progresser vers la vérité. Le rythme des innovations technologiques est devenu beaucoup plus rapide que les capacités scientifiques d’en étudier les impacts.
Ainsi, le débat sur l’e-cigarette est un cas d’école pour la réflexion sur le thème de l’innovation, du progrès et de la précaution. Nous continuerons de l’observer.
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e-cigarette : cas d’école face à l’incertitude
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